Bangkok TATTOO chapitre V

Publié le par Maluko

Le téléphone sonne, c'est l'équipe légale qui veut me voir à l'hôtel où Mitch Tuner est mort. J 'ai envie d'y emmener Lek, mais celui ci est en train d'entrer dans les bonnes grâces de ma mère en parlant mascara. Alors j'y vais donc seul. Quand j'arrive, je vois tout de suite où ils veulent en venir. Dans leur zèle, ils ont retourné le corps. Maintenant ils me regardent en train de le regarder. Je ne sais pas si je dois vomir ou frapper ma tête sur quelque chose. Je suis trop abasourdi pour faire quoi que ce soit.Je repense à Chanya et à la façon dont elle se comportait ce matin, tranquille et joyeuse, comme si la situation dans laquelle nous sommes était une partie de plaisir. J'appelle le réceptionniste de l'hôtel et je lui demande de me mettre en relation avec le Colonel Vikorn. Pour une fois il est réellement dans son bureau. 

'Ils l'ont retourné.'

'Et alors?' 

'Il a été écorché. Des épaules jusqu'au bas du dos. Toute la peau a été enlevée. C'est une sacrée merde sanglante.' 

Une longue pause, durant laquelle j'imagine que même Vikorn est stupéfait. Alors: 'Dis leur de le remettre comme ils l'ont trouvé. Est-ce qu'ils ont pris des photographies de son dos?'. 

'Je pense oui.' 

'Dis leurs de les détruire.' Il raccroche. 

Tandis que je regarde la dépouille qu'ils sont en train de retourner une nouvelle fois. Je pense aux farang. Je pense à la France, l'Allemagne, l'Angleterre, le Japon, les Etats-Unis, le G8,je pense à la décadence. D'un seul coups ce meurtre est sorti de la psychologie thaï et j'en suis réduit à chercher dans tout ce que j'ai de perspicace que j'ai acquis là bas. Les pauvres, voyez vous ,tuent seulement par passion, pour le territoire, l’argent ou par superstition, alors que la castration brutale est apparue au premier coups d'œil comme une expression de rage commune, de peur ou de cupidité typiques aux traditions d'un pays du tiers monde, le fait d'enlever la peau était au contraire un extra gratuit qui ne peut venir que d'une société possédant une large classe moyenne pleine d’ennuie. Bordel, qu'est ce qui est donc arrivé à Chanya en Amérique? 

Le jour d'après je passe avec Lek pour le dépôt du corps. Bien que Vikorn ait déjà tout arrangé avec les employés pour ce qui concerne les résultat de l'autopsie (il est mort d'une perte de sang due à une blessure au couteau à l'abdomen et à l'estomac et son pénis a été coupé - surprise, surprise- nulle part on ne fait mention du morceau de peau qui manque dans son dos, il y a toujours une procédure à respecter, des gens avec qui plaisanter et des coups d'œil suspicieux à gérer, les gars du crématorium étant réellement pointilleux. D'une façon ou d'une autre ils ont compris que la crémation n'était pas totalement légale et ils réclament un pot de vin d'un montant que je ne peux pas garantir, et on doit donc joindre Vikorn sur son mobile. Je prends un certain plaisir à voir leur changement d'expression quand il en a fini avec eux. Mais c'est une journée épuisante et je n'ai pas revu Chanya depuis le début de soirée, juste avant que je ne sois prêt à ouvrir le bar. 

Je pense que sa vrai vocation aurait été d'être actrice, car je la reconnais à peine. C'est simplement que ses cheveux sont courts, pointus et mauves, ou alors c'est qu'elle a changé de maquillage. Elle a réussi à changer d'identité. Elle porte une longue jupe noire, une blouse blanche avec de la dentelle et des chaussures à talon plats. Elle joue la sérieuse maîtresse d'école thaïlandaise en faisant attention au moindre détail. Elle est venue dire au revoir. On se tient la main un moment, les yeux dans les yeux. ça ne me surprend pas qu'elle ait la capacité de lire dans mon esprit. 

'ça n'est pas ce que tu crois, Sonchai, je veux que tu le saches!'

'OK.' 

Une pause. 'J'ai gardé un journal intime tout le temps où j'étais aux Etats-Unis. peux être puis je te le montrer un des ces jours. Elle me becquotte affectueusement la joue, me donne un dernier coups d'œil et s'en va avec la promesse de m'appeler une fois de temps en temps pour voir si la voie est libre pour son retour. 

Pendant ce temps ma mère me rejoint au bar quelques minutes après le départ de Chanya. Elle prend unebière du rayon dans le réfrigérateur et je m'assieds avec elle à table tandis qu'elle allume une marlboro rouge et que je lui rapporte les progrès de l'affaire en cours. Quand j'en ai terminé je demande :'Mère, tu le sais mieux que personne, qu'est ce qui a pu rendre une fille comme Chanya si bizarre?' 

Elle louche pensivement tandis qu'elle inhale la fumée, puis hausse les épaules. 

'ça peut être beaucoup de choses, une fille passe par plusieurs phases. Elle commence par croire tout ce que les clients lui disent et flatte ainsi son ego, jusqu'à ce qu'un jour elle commence à se demander soudain si les johns ne l'exploitent pas plus qu'elle ne les exploite. 

Et comme dans toute société de service, personne à la fin ne sait plus qui arnaque qui durant la partie. Elle a dépassé ce stade et a commencé à éprouver de la fierté professionnelle dans ce qu'elle fait -elle veut être une star, elle n'a que ce but !'. 

Ma mère exhale pensivement. 

'C'est alors qu'elle réalise que le temps passe, que les femmes plus jeunes attirent plus l'attention, qu'une star plus reconnue est venue travailler dans son bar. Un autre rite de passage auquel elle doit se faire - peut être une période de dépression avant qu'elle n'arrête complètement.

Je fronce mon front. Mais rien de tout cela ne semble être arrivé à Chanya.' 

'Non, je sais. Il y a longtemps qu'elle est passé par ce stade. Je n'ai jamais vu une telle professionnelle .Elle doit avoir pété les plombs. ça m'est arrivé une fois. Tu deviens victime de ton succès. Tu oublies une chose. Tout ce que tu fais c'est juste coucher pour de l'argent. Ta vie entière tourne autour du membre masculin. Tu en deviens aussi obsédé que le sont les hommes. Quelque part en toi il y a une résistance qui se construit. Des femmes deviennent vraiment folles. J'ai moi même dû stopper pendant un an lorsque j'avais 10 ans - peut-être t'en rappelles tu, on a passé l'année au pays avec grand mère? A la fin nous n'avions plus d'argent alors j'ai dû y retourner, mais ce n'était plus pareil après. J'ai vu Chanya se rapprocher de plus en plus de cet état, ça fait un temps déjà.' 

'alors tu penses qu'elle est juste devenue folle?' 

'Oui je le pense. Peux être a t'il été particulièrement odieux. mais elle aurait dû savoir comment le gérer. C'est comme ça, à force, une fille se fatigue d'user de ruse et d'astuce. Je pense que le couteau appartenait au farang, qu'il n'était pas celui de Chanya - et je pense que ça lui a donné une excuse. Elle l'a trouvé dans le chambre et des démons l'ont possédée. C'est comme ça que je vois les choses.' 

'Si c'était le couteau du farang, et comme il était si costaud, personne ne va douter qu'il ne s'agisse d'un cas de légitime défense ,même sans l'aide de Vikorn. 

'Exactement. C'est pour ça que je suis en colère après elle. Elle aurait dû savoir gérer la situation. Elle aurait dû faire ce que j'ai fait - prendre du recul un certain temps. Elle est riche après tout, elle n'a pas d'enfants, elle aurait pu se permettre de se retirer. Mais elle est accroc au jeu. C'est pareil dans chaque métier : quand quelqu'un voit qu'il a un talent exceptionnel, il ne peut plus s'arrêter. Il a besoin de faire un score. A ce moment c'est une question de chasse, plus d'argent. 

'Dans ce cas comment a t-elle fait? C'était un gros gabarit.' 

Un sourire. 'Elle est maigre et forte. Elle aura été plus rapide que lui et elle aura eu l'effet de surprise. 'Elle me jette un rapide coups d'œil. 'Je pense qu'elle lui a coupé juste après l'avoir tué. Une sorte de trophée.' 

'Et elle l'a écorché?' 

Ma mère me regarde, et fait un geste d'incompréhension. Lek rentre dans le bar. 

Je n'ai pas vraiment l'énergie mais j'accompagne Lek au wat prés de la station de police. Mettez n'importe quel thaï en dessous d'un microscope et vous trouverez une encyclopédie de superstition dans chaque cellule, mais la superstition qui habite Lek est une des plus extrême et le démange après tant de temps passé en promiscuité avec le mort et ceci est une menace sa santé spirituelle et sa bonne fortune. Il marche tranquillement vers le temple et pourchasse un bourgeon de lotus. Lek respecte le rituel avec élégance et s'assoit sur ses talons avec les mains mise en wai, préférant, je suppose, la prière à la méditation. 

Ça dure si longtemps que je le quitte pour retourner à la station, où je me suis laissé dire que vikorn veut me voir. Je suis conscient qu'il veuille parler du cas Mitch Turner, mais au lieu de cela il veut me parler de Lek. Il siège dans son bureau sous une photographie du roi et d'un poster de la division anti-criminalité illustrée par les cent un moyens que la Police a trouvé pour augmenter ses revenus. 

'Est ce qu'il est bizarre?' 

'non.' 

'il est très efféminé et j'ai eu des plaintes d'hommes du personnel.' 

Si c'est un homosexuel je le mets dehors. et je ne veux pas que tu me mentes pour le protéger. 

'Il est pas homo. Il n'est pas du tout intéressé par le sex'. Je ne suis pas vraiment prêt à dévoiler l'histoire entière de Lek mais je devine ne pas vraiment avoir le choix. 'Il vient de l'Isaan, du village de Napo dans la province de Buriram, pas très loin de là où vous avez grandi'. Il acquiesça. 'Quand il avait cinq ans il a eu un accident. Il était en train de monter un buffalo en sautant derrière de la manière avec laquelle les hommes de votre coin aime le faire mais le buffalo lui donna un coups de jambe et l'envoya voler. Quand il a atterrit sur le sol sa tête heurta un rock. Tout le monde pensait qu'il ne pouvait pas s'en sortir. Il semblait déjà mort. 

Pourquoi est ce que je sens que vous savez ce qui va venir après?'. 

L'expression de Vikorn s'est altérée. Ses yeux étincellent quand il fait quelques pas pour se décontracter. Il prononce ses mots avec saveur. 'Ils ont appelé le Shaman, qui a fait un feu de charbon de bois près de la tête de l'enfant et a envoyé de la fumée au dessus du garçon pour assister les visions. On a appelé les parents. Le Shaman leur a dit que le garçon était aux portes de la mort. Il n'y avait qu'un et un seul espoir: ils devaient offrir leur enfant à un esprit qui pouvait remplir son corps et le ramener à la vie. mais après l'enfant appartiendrait à l'esprit, plus aux parents'. Il me fixe. 

'ça a marché, mais il y a eu un hic'. 

Vikorn lève un doigt. 'C'était un esprit femelle'. 

Je joins mes mains ensemble et je les lève face à mon visage  dans un wai de reconnaissance envers sa compréhension profonde tandis qu'il regagne son siège derrière son bureau. 

'Allez vous l'aider?' 

Il fait un grand geste avec ses mains.' Les homos sont un import de l'occident, les kotoeys sont aussi thaï que l'herbe de citron. Je vais le protéger aussi longtemps que je le peux. Mais nous devons l'employer plus correctement. 

'Il va bientôt commencer un traitement aux œstrogènes. ça peut être dur.' 

Vikorn grimace .'Un flic avec une poitrine? Va t'il faire l'opération complète?' 

'Il n'est pas sûr. De toute façon il n'a pas encore tout l'argent nécessaire.' 

'alors pourquoi est il entré dans la Police?' 

'pour la même raison que moi. Il ne voulait ni être une prostitué, ni un gangster.' 

Vikorn acquiesça. 'Je comprends. A t'il déjà trouvé une sœur aînée?' 

'Non. Il m'a demandé de parler à ma mère de ce sujet.' 

Une pause pensive. 'Je ne veux pas le voir travailler dans les bars. Est ce qu'il va danser?' 

'C'est ce qu'il veut faire. Il cherche un sponsor. Il s'entraîne tout le temps. Il aime la musique thaï classique, le Ramakien.' 

Il tourne sa tête de côté. 'J'avais un cousin qui était katoey. Il est mort du sida. Il n'était pas réellement actif mais à l'époque c'était les années 80,avant que nous ne soyons au courant de cette maladie. Il n'a pas e de chance, je pense. Donne au jeune Lek quelques petits conseils. S'il ne se fait pas opéré, dis lui de ne pas utiliser de sellotape, ça cause de terribles douleurs. Tandis que je me lève pour partir je lui lance: 'existe t'il un domaine dans lequel vous n'avez pas autorité? 'Il m'offre un éblouissant sourire tandis que je sors de son bureau. 

Quand je suis de retour au bar je me rends compte que ma mère a abandonné le contrôle de la musique à une des filles:  

                                    I pinch you on the bum 

                                   You pinch me on the bum    

Je zappe vite sur du Chopin et je suffoque presque de soulagement: j'ai développé un goût pour la vrai musique sous l'égide d'un allemand qui a logé ma mère à Munich pendant quelques mois quand j'étais gamin – cet Allemand a fini plus tard dans notre fameuse prison de haute sécurité à Bangkok, Bang Kwan. Ma onzième et douzième année ont été cruciales pour moi. Le commerce de ma mère avait pris un tournant nomade et on a passé presque tout notre temps à l'étranger, à Paris et à Munich, où ses consommateurs sophistiqués ont joué un rôle de père pour moi (j'ai appris à aimer la cuisine Française, Proust, Beethoven et Nietzsche, Ermenegildo Zegna et versace. Bien que ma mère soit amoureuse des Doors(pour des raisons sentimentales et historiques - Apocalyse Now est le seul DVD qu'elle possède qui ne soit pas un DVD pirate)je n'aime pas trop ni le rock ni la pop. 

Je m'allonge sur une des banquettes et je m'assoupis plus ou moins tandis que ma mère passe la porte, paraissant aussi fraîche qu'une rose. On s'assoit sur une des tables tandis qu'elle fume une de ses cigarettes et écoute le compte rendu de ma conversation sur Lek avec Vikorn. 

'il ne connaît pas de katoey plus vieille que lui?' 

'Non, il vient de sortir de l'école de police et il n'a jamais quitté l'Isaan. Tout ce qu'il sait des katoeys, il l'a vu à la télé où il l'a vécu de sa propre expérience.' 

Nong secoue sa tête. 'Pauvre enfant, ça va pas être facile. Il ne va pas s'en sortir sans une sœur aînée, quelqu'un qui peut l'initier, qui lui montre les ficelles du métier, qui le conseille. C'est un si beau garçon. 'Un soupir. 'Ce sont les katoeys qui l'ont eu le plus dur pendant l'épidémie de sida. J'en connais des milliers. Nous, les filles, on avait l'habitude de boire avec elles après le boulot à l'époque - elles peuvent être hilares, terriblement tendances mais restent totalement chaotiques. Plus mauvaises que les filles aussi. Lek a besoin d'une katoey qui en ait fini avec le métier, dans les trente ans ou plus vieille. Quelqu'un qui soit passé par tous les stades et qui ait exercé pendant longtemps. Je veux que son mentor ait eu un gros succès financier, c'est le seul moyen de le sauver après que sa période d'euphorie initiale ait touchée à sa fin. Nous devons le sauver du désespoir .les katoeys vieillissent mal sans l’aide de beaucoup d'argent'. 

Ma mère et moi échangeons un regard. 

Ma mâchoire tombe soudain. 'tu n'es pas sérieuse?' 

'Pourquoi pas Fatima?' 

'C'est une meurtrière.' 

Ma mère me fait un clin d'œil. 'Qu'est ce que ça a à voir avec notre histoire?' 

‘Mais c'est de cette manière qu'elle a obtenu son argent, c'est comme ça qu'elle a touche le jackspoot, en tuant son amant'.  

'En tuant son amant et surtout en utilisant son charme. Et c'est exactement ce dont a besoin notre petit ange pour s'en sortir.'

 

 

 

 

 

 

Publié dans Thailande

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G
Bonsoir et merci pour ton com
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